Luc Ferry
Résumé
Présentation de l'initiative éditoriale
Je dois à l'amitié de Philippe monsel, l'éditeur de ce livre d'avoir entrepris de réécrire Homo Aestheticus, publié voici maintenant près de dix ans chez Grasset.
Pourquoi cette réecriture? D'abord, parce que le débat sur l'art à certains égards n'a cessé de s'amplifier au fil des dix dernières années et, à certains égards, mon livre visait à le situer dans une perspective historique et philosophique qu'il fallait réactualiser. Mais surtout, Homo Aesthéticus était un travail universitaire, rédigé comme l'impose ce genre particulier, sans réel souci du lecteur. De nombreux développements consacrés à des auteurs peu ou mal connus (Lambert, Baumgarten, Wolff..), rendaient la lecture difficile, voire impossible, à des non professionnels de la philosophie sans apporter pour autant des éléments décisifs à l"ensemble de la thèse: en substance, l'idée que la crise de l'art contemporain doit être interprétée comme l'étape ultime d'un long et passionnant processus de laïcisation ou d'humanisation de la culture.
Contenu du livre
J'ai donc tenté, sans rien modifier d'essentiel quant au fond, d'alléger l'ouvrage, de le réécrire chaque fois que c'était nécessaire, c'est à dire souvent, de lui donner aussi une architecture nouvelle, plus cohérente, dans le but d'en rendre les principales articulations plus accessibles.
Une dernière raison, enfin, m'y conduisait: mon éditeur me proposait d'intégrer à cette novelle version une très riche iconographie.
Je dois avouer que l'admirable travail effectué par Philippe Monsel donne à l'ensemble un intérêt et un attrait réellement nouveaux. J'ai pu bénéficier non seulement du fond exceptionnel des Editions Cercle d'art, mais aussi de la compétence incomparable et amicale de son directeur.
Je lui doit encore eu l'heureud=se idée de proposer à Philippe Sollers d'entrer avec moi dans un dialogue sur la nature de l'oeuvre d'art ainsi que sur la crise(?) qui affecte ou non aujourd'hui l'art contemporain.Sollers fut pour moi, au cours de cette discussion, ce que Nietzsche nommait avec le respect que l'on sait, un"bon ennemi", intelligent et vif, bien sûr, mais aussi bienveillant. J'espère que notre débat, dont on verra qu'il est sans complaisance aucune, conservera par écrit quelque chose de cette atmosphère aingulière et précieuse d'amical différend dans laquelle il eu lieu.
Contenu du livre
Comment vivre bien sans beauté, sans multiplicité des symboles et des significations qu'elle offre à nos méditations, à nos conversations? "Des goûts et des couleurs on ne discute pas", prétend la sagesse des nations...Et pourtant, ajoutait Naitzsche, on ne fait que cela!
Sans doute, mais cependant pas depuis toujours... Dans l'Antiquité, la question des critères du Beau, ne se posait guère. L(oeuvre d'art possédait une certaine objectivité, définie par sa capacité d'incarner à notre échelle les propriétés harmonieuses de l'Ordre du monde, du grand Tout cosmique. Elle s'imposait donc aux hommes comme un "microcosme", doué de qualités incontestables.
Le Moyen Age reconduira cette conviction que l'art a pour fonction de mettre en oeuvre dans un matériau sensible une vérité supérieure et extérieure à l'humanité, celle de la splendeur des attributs divins. Il faut attendre le XVIIesiècle pour qu'advienne la "Révolution du goût"; l'idée qu'il existe au plus intime du coeur humain un sens du Beau et que l'oeuvre a pour vocation, non plus d'incarner une vérité, cosmique ou divine, mais de plaire à la sensibilité des humains.
C'est au XVIIIe siècle, sur fond de cette première laïcité de la culture, que la philosophie de l'art prendra la forme d'une théorie de la sensibilité, d'une esthétique.
L'oeuvre n'apparaît plus comme le reflet d'un univers transcendant, mais comme une création de part en part réalisée par et pour les êtres humains. L'auteur et le spectateur, le génie et son receptacle, deviennent ainsi les deux visages inséparables de cette subjectivisation de la beauté.
C'est de cette singulière mutation, à l'origine de toute culture moderne, que le présent livre tente de retracer l'histoire et de dégager les enjeux. Plus largement, il vise à éclairer nos débats actuels en les situant dans la perpective globale de la sécularisation du monde, de "l'humanisation du divin"