Untel, Père & fils

Jean Vautrin, Christian Delécluse

Artiste(s)

EAN: 9782702204986 1998 120 pages relié imitlin jaquette

Résumé

 

 

LA PAROLE A JEAN VAUTRIN

RESUME DES FAITS

Les images du photographe Christian Delecluse, réalisées dans le cadre d'une réflexion sur la paternité, devaient figurer dans l'exposition « Humain, très humain » qui a ouvert le 12 avril au Musée d'Aquitaine, à Bordeaux.  Mais le directeur du Musée, François Hubert, en a décidé autrement.

On sait bien, a déclaré ce dernier, qu'avec les problèmes de pédophilie ou d'inceste, les gens auraient pu mal réagir. Ils risquaient d'être choqués. »

Et d'interdire l'accrochage des photos «délictueuses".

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Ces paroles effarouchées, cette décision de censeur, méritent qu'on s'éraille ! Elles s'ajoutent et font chorus aux  jacasseries de bénitier des très traditionnalistes associations locales de défense des familles qui avaient discrédité l'exposition « Présumés innocents » organisée par le CAPC de Bordeaux.

Quid de la fragilité des certitudes humaines ? Cette fois, le pêché d'intention prêté au photographe Christian Delecluse par un organisateur pusillanime qui décroche ses photos des cimaises d'un musée et cède à l'autocensure, poussé par  la peur de voir le public s'effaroucher à la vue d'un nu que l'on ne saurait voir - celui de la paternité - donne à frémir. Elle ajoute une ombre lugubre au zigzag d'un avenir culturel engagé sous la bannière bling-bling d'un pouvoir sans capacité de réflexion.

En tout cas, voici l'ébauche d'un ciel noir ! Voilà les prémices d'une pudibonderie de bien mauvais aloi ! Voilà que passe sous nos nez le souffle d'une haleine nauséabonde ! Elle prédit pour demain les pires excès de la censure !

Déjà, dans les coins sombres de notre société, à l'abri des jugements et des regards, la délation fait son carnaval. Un peu partout, les vieux démons remontent à l'échelle. Qui veut ce nettoyage «propre» ? Qui tient l'éponge qui efface, les ciseaux qui retranchent ? Qu'en sera-t-il de la liberté de penser chère à Voltaire, à Hugo, à Vallès, à Césaire, si - par ci, par là - les responsables de la Culture commencent à trier les œuvres, décrètent l'ivraie et interprètent selon des critères besogneux le degré de dangerosité des images ou des mots que leur proposent les artistes ?

La Culture a toujours posé question. Elle n'est pas faite pour rassurer et souvent sa réponse est une question. Dès lors, qui ? - quel présomptueux personnage - peut prétendre au pouvoir de choisir les œuvres exposées?

Ainsi va l'époque régressive où nous sommes ! A l'heure où, sans vergogne, le corps féminin est exhibé à tous les coins de pub et son image exploitée pour le profit d'un mercantilisme sans freins, voilà que la scène d'un père nu portant sur ses genoux son fils habillé est cataloguée par un tenant de l'ordre moral comme susceptible d'entrer dans la zone interdite de la pédophilie!

Sournois, patients et endémiques - les prudents, les puritains, les calotins et les pisse-froid accompagnent les grands prêtres du temps. Adeptes intransigeants de la tradition, conformistes en durcis, ils sont gris vichyste. Retranchés derrière la raison gestionnaire, cachés dans les plis des administrations, manipulateurs de l'alibi culturel, blattes de sacristie et de bénitier, ils s'avancent éternellement cachés derrière le bouclier du «non». L'hypocrisie, le besoin idéologique de pureté, le refus panique de la sensualité et de la liberté des êtres font le nid des rumeurs qu'ils épandent. Elles empestent épisodiquement des créateurs. «ON» s'y entend assez à orchestrer la liturgie de la catastrophe. La société pudique est en danger «Les gens» arrivent alors à la rescousse du «non».

"On"demeure une poire inépuisable. «On» et «les gens» sont de toutes les époques troubles. Ces déguisements du «je» (qui n'ose s'afficher que s'il se sent épaulé par le nombre), laissent peu d'excuses à la frilosité des moralisateurs de bien court empennage.

«On» est facile à pratiquer. «On» est un autre. C'est le masque qui permet toutes les suppositions.Toutes les identités. Toutes les félonies de l'ordre à tout va.De sa pratique au quotidien, la xénophobie fait florès. On reconduit l'étranger. On exalte le français populiste. «On» se tape sur l'épaule. «On» gouverne à vue. «On» décide à chaud. «On» cède aux vieux réflexes de la frousse. En même temps, l'éphémère fait loi. Les paillettes, les courants de la mode modèlent les contours mous et déstructurés d'une société annihilée par les promesses de l'argent et de la réussite à tout crin.

«On» est archaïque. «On» est enlaidi par la peur et si les choses n'étaient pas aussi tristes, on serait tenté de dire à l'ancienne, que «On» est un sale con en deux lettres.

A l'heure où le pape s'excuse sur le sujet de la pédophilie des prêtres  en Amérique, que les craigneux du touche-pipi et les censeurs d'après vêpres fassent le dos mou !  Surtout, surtout - s'ils se sentent morveux - que les zélés moralisateurs de la culture, sacrifiant au principe de précaution, se mouchent avec leurs fantasmes rentrés ! C'est simple ! «On» s'est trompé ! Il n'y a pas de pédophilie cachée derrière les photos de Delecluse.

Jean Vautrin

30 Avril 2008

 

PS. «On» a-t-il pris la peine de consulter le livre paru au Cercle d'Art qui a précédé de quelques années l'expo de Bordeaux ? Si tel avait été le cas, sans doute aurait-il su trouver dans le texte que j'y ai écrit pour accompagner les photos de mon camarade un autre éclairage que celui de la méfiance et du préjugé.