Nicolas Hulot

 

IL Y VA DE LEUR DESTINÉE

L'Homme, bien qu'il soit une espèce unique en son genre, n'en a pas moins été soumis aux questions et lois intangibles de l'adaptation biologique comme tous les autres êtres vivants. Hormis quelques caractères secondaires essentiellement d'ordre morphologique, voire physiologique, il ne trouva de réponses que dans la diversification de ses cultures. Ce processus de différenciation culturelle a certainement commencé très tôt et ne fit que s'amplifier avec la croissance de l'humanité.

Or les inquiétudes actuelles devant le déclin de la biodiversité sur la planète ignorent paradoxalement celui des communautés humaines qui, pourtant, nous concerne au plus près. En effet, autant sinon davantage que les espèces animales et végétales, l'érosion des cultures s'est accrue considérablement au cours de ces dernières décennies sous l'effet de facteurs multiples dont la mondialisation n'est pas des moindres.

Les preuves n'en sont pas l'extinction des peuples, mais bien celle des langues qui sont les vecteurs des civilisations.

" Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle ", disait le philosophe malien Amadou Hampâté Bâ, tandis qu'une langue qui meurt c'est un incendie qui détruit à jamais tout un patrimoine de cosmogonie, de littérature, de coutumes et de savoirs. Cette déculturation touche plus particulièrement l'Afrique, l'Asie et l'Amérique du Sud où les civilisations orales sont les plus nombreuses.

C'est ainsi qu'en France, par exemple, deux langues ont été perdues, toutes deux d'origine judaïque et apparues simultanément au XIe siècle. La première, le Zarphatic, passe pour la première langue de la diaspora juive en Europe où elle perdura jusqu'au XIVe siècle. Quant à la seconde, le Shuadit, elle s'est éteinte, en 1977, avec Armand Lunel qui en fut l'ultime héritier.

Certaines, contre toute attente, renaissent. Ce fut le cas du Warungu parlé par une ethnie aborigène d'Australie. Avant qu'elle ne disparaisse, supplantée par une langue véhiculaire plus largement usitée, un Japonais l'avait apprise. Les descendants de la tribu, soucieux de retrouver leur identité, lui demandèrent de la leur enseigner. Aujourd'hui, le Warungu est ressuscité, permettant à ce peuple de retrouver ses racines.

En matière de conservation de la nature, la sauvegarde des espèces passe par la protection de leur habitat. Pour les communautés humaines, il convient de maintenir leurs conditions d'existence en leur donnant accès aux biens essentiels sans toutefois modifier leur équilibre sociétal.

Les principes du développement durable devraient permettre de leur garantir un avenir en apportant, simultanément, un soutien dans les domaines de l'économie, du social, de l'environnement, mais aussi et très largement de la culture. En réalité, il s'agit alors davantage d'appliquer un développement global, plutôt que durable qui n'en est que la conséquence.

Cette démarche, pour réussir, implique l'absolue nécessité que les communautés soient les seules décisionnaires des mesures prises à leur égard et les actrices de leur mise en œuvre. Car leur avenir est indissolublement lié à leur passé et elles seules peuventen juger. Il y va de leur destinée.

Nicolas Hulot
Président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme